DESTRUCTION DU VIVANT

DES RAVAGES COLLATERAUX SUR LA SANTE ET L’ENVIRONNEMENT, TOUJOURS MIEUX DOCUMENTES

Dès 1962 la biologiste américaine Rachel Carlson publiait le « Printemps silencieux » qui médiatisait l’effondrement de la biodiversité provoqué par l’emploi des pesticides de synthèse.

60 ans plus tard, 298 différentes substances de synthèse sont toujours employées en France, avec des impacts ravageurs sur nos milieux, malgré des dizaines de substances très dangereuses retirées, et la réitération de programmes de réduction, jusqu’alors sans effet.

En octobre 2017, le biologiste Caspar Hallmann et son équipe réalisait une étude sur une soixantaine de zones protégées en Allemagne. Il démontrait, qu’au cours des trente dernières années, la masse des insectes volants s’est effondrée de 80 % ! Il a été démontré que c’était l’utilisation de pesticides sur les zones agricoles mitoyennes de ces réserves naturelles qui était la cause principale de cette disparition d’insectes. La proximité géographique et la similarité des méthodes agricoles entre nos deux pays génèrent les mêmes impacts dans nos régions. S’enclenche dès lors un effet domino qui impacte l’ensemble de la chaîne alimentaire et la faune sauvage. Cumulé avec la destruction de milieux, selon le WWF, les 2/3 des animaux sauvages ont disparu depuis 1970.

Les milieux naturels environnants sont fortement impactés
Les milieux naturels environnants sont fortement impactés

Parmi les insectes plus affectés, les papillons, les abeilles domestiques et sauvages, les guêpes, les fourmis, les coléoptères, les bousiers, les libellules, éphémères et bien d’autres. Quant aux oiseaux, hérissons, lézards, amphibiens, poissons, tous dépendent de cette consommation d’insectes, y compris les oiseaux granivores pour nourrir leurs poussins. Selon une étude de 2017, cette chute de 80 % des insectes en moins de 30 ans en Europe a contribué à faire disparaitre plus de 400 millions d’oiseaux et à la chute vertigineuse des oiseaux de nos campagnes. Le risque est celui d’un effondrement des écosystèmes naturels qui serait catastrophique puisque la pollinisation de nos cultures en dépend.

Plus d’une centaine de molécules issues de pesticides (sur 140 recherchées) sont détectées chez de petits mammifères des zones agricoles en France, selon des études de l’INRAE et du CNRS en 2022. Entre une trentaine et une soixantaine de molécules sont retrouvées sur chaque individu. Dans la plaine de Sèvres, les lombrics présentaient un taux d’imidaclopride (insecticide néonicotinoïde) 400 fois supérieur à l’imprégnation du nectar de colza lorsqu’il est traité. La concentration le long de la chaine alimentaire est encore mal évaluée, mais il est certain que les effets sont ravageurs. Alors que les terres préservées des pesticides hébergent une présence de l’ordre de 2 tonnes de lombrics à l’hectare, les zones fortement contaminées n’en comportent plus qu’une cinquantaine de kilogrammes. Or ils sont essentiels à l’équilibre des sols et vitaux dans la chaine alimentaire de nombre d’espèces.

Dans une étude publiée en juin 2022 dans la revue Science, la biologiste Anja Weidenmüller et ses coauteurs montrent pour la première fois que le glyphosate – le pesticide de synthèse le plus utilisé au monde –, altère la capacité des colonies de bourdons terrestres à réguler la température de leur nid. Un effet qui ne survient que lorsque ces pollinisateurs subissent un stress alimentaire qui menace leur capacité de reproduction. « Ne serait-ce qu’à 25 °C, leur taux de survie baisse de 17 % et le taux de développement chute de plus de 50 % par rapport au taux optimal », écrivent les chercheurs.

Après un traitement herbicide
Après un traitement herbicide

Des études indépendantes enrichissent progressivement l’état des connaissances, contredisant les analyses des industriels des pesticides prises en compte pour les procédures d’autorisation européenne. Par exemple, pour le glyphosate après une réévaluation en 2021, l’Inserm publie que « sur différents modèles expérimentaux, de nombreux résultats sont positifs in vitro et in vivo […] Plusieurs tests in vitro observent des effets génotoxiques à des concentrations proches de celles qui peuvent être détectées dans l’environnement ».

Aujourd’hui le CIRC et l’Inserm s’accordent pour affirmer que le glyphosate est génotoxique et qu’un phénomène de stress oxydant induit par le glyphosate serait responsable de cette génotoxicité. De plus, le produit Roundup, associant glyphosate et co-formulant chimique, démultiplie la toxicité et la dangerosité de la substance, et  impacte le microbiote des organismes non ciblés, tels les vers de terre  et autres organismes du sol : https://www.generations-futures.fr/actualites/roundup-effet-nefaste/ La Charente-Maritime a obtenu en 2020 le triste record de France pour l’utilisation du glyphosate, avec 347 tonnes.

Dès 2007, une étude du CNRS associé à plusieurs laboratoires de recherches mettaient en évidence les dommages causés par le glyphosate sur l’ADN des embryons d’oursin lors de la division cellulaire et les mécanismes à l’origine de la cancérisation.

En octobre 2023, Céline Pelosia directrice de recherches à l’INRAE alertait sur les effets néfastes de cet herbicide sur les vers de terre, donc sur la fertilité des sols. Plus de 60 études ont été publiées sur les effets du glyphosate sur les vers de terre et quasiment aucune n’a été retenue par l’autorité sanitaire européenne. Le ver de terre ne meurt pas quand il est exposé au glyphosate, mais cela induit des effets à long terme – avec des doses répétées – sur la reproduction et la croissance notamment, également sur le comportement. Des études en Amérique latine ont montré qu’au bout d’une vingtaine d’années, à raison de trois applications de glyphosate à doses recommandées par an, on arrive à une quasi extinction des vers de terre. Avec un test au laboratoire sur du court terme, il est impossible de mettre en évidence ces effets.

Or malgré cette accumulation accablante de preuves sur les impacts inacceptables du glyphosate, la Commission européenne l’a réautorisé en novembre 2023 pour une nouvelle période de 10 ans.

À la demande du gouvernement, quarante-six chercheurs de l’Ifremer et de l’INRAE ont publié en mai 2022 une étude dans laquelle ils ont compilé et analysé plus de 4 000 études sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. La conclusion est que ces produits polluent l’ensemble des milieux et fragilisent la biodiversité. Ce constat n’est pas nouveau, mais il est désormais étayé par une solide expertise scientifique, et il est accablant envers l’agriculture intensive.

Sans surprise, cette imprégnation fragilise l’ensemble du vivant. Premiers menacés, celles et ceux qui vivent non loin des champs : abeilles, bourdons, coccinelles, papillons, oiseaux… « Les études disponibles permettent d’affirmer que les produits phytos sont une des causes majeures du déclin des populations » d’insectes, d’oiseaux, d’invertébrés aquatiques, batraciens…, résume Stéphane Pesce, chercheur en écotoxicologie à l’INRAE. « À l’échelle européenne, il est estimé que la contamination induirait des pertes allant jusqu’à 40 % au sein des macro-invertébrés (larves ou mollusques) aquatiques. »

Ces substances chimiques ne font pas que tuer directement les êtres vivants. « Elles ont de nombreux effets sublétaux, souligne M. Pesce, c’est-à-dire qu’elles perturbent l’organisme », sans être mortelles immédiatement. Perte d’orientation, déficience immunitaire, modification de la reproduction… « De plus en plus d’effets non attendus et sans relation claire avec le mode d’action connu sont mis en évidence, par exemple pour ce qui concerne les systèmes nerveux, immunitaire, endocrinien, ou encore les interactions avec les microbiotes » note le rapport. Ces effets impactent la survie des espèces et de leurs prédateurs. Ils deviennent aussi plus vulnérables aux attaques de virus et autres parasites, tel le varroa pour les abeilles.

abeilles décimées par les pesticides

Selon Cyril Vidau, écotoxicologue au sein de l’Itsap-Institut de l’abeille, il existe deux types d’intoxication aigüe : « Les butineuses, celles qui vont collecter pollen, nectar et eau, peuvent se retrouver sur des parcelles où les produits sont pulvérisés, elles sont directement exposées au produit, et cela peut les tuer si la dose est trop importante », explique-t-il. Second cas, les butineuses rapportent à la ruche du pollen ou du nectar contaminé : « La ressource va être consommée par les abeilles d’intérieur, et cela peut entraîner leur mort rapide ou plus lente, avec une intoxication chronique. » Les produits pesticides peuvent aussi perturber d’autres fonctions des colonies : orientation, immunité, reproduction.

Homologué en 2003, le fongicide SDHI boscalid, a été classé perturbateur endocrinien, outre les dangers de ses impacts sur la respiration cellulaire de tous les êtres vivants mis en exergue par l’Inserm. Il été étudié en 2023 par des chercheurs de l’université de Poitiers qui ont découvert que ce fongicide est un poison pour les reines provoquant le déclin des colonies d’abeilles. Il est très employé sur le colza, culture mellifère attirant les abeilles. L’homologation des substances n’impose des tests que sur les abeilles, et qu’en est-il des pollinisateurs sauvages ?

Autre exemple, la cyperméthrine, de la famille chimique des pyréthrinoïdes de synthèse, autorisée depuis 2008. C’est un insecticide à large spectre ciblant le système nerveux et destructeur de tout insecte. Il est pulvérisé sur tout type de culture, qu’il s’agisse de grandes cultures, de maraichage, viticulture, horticulture ou autre. 30 % des surfaces cultivées en agriculture conventionnelle de Charente-Maritime seraient concernées. La toxicité pour les abeilles de la cyperméthrine étant très proche de celle des néonicotinoïdes déjà interdits, elle devrait donc être également interdite. L’une de ses particularités est que dans les eaux, sa limite de quantification est 17 fois supérieure à sa dilution maximale admissible. Elle est ainsi pratiquement indétectable ; quand elle l’est, ce sont des impacts catastrophiques sur les invertébrés, larves et insectes aquatiques.

Une étude du CNRS publiée en mai 2023 confirment les constats antérieurs accablants. Menée par 50 chercheurs dans 28 pays européens, cette étude évalue à 20 millions la réduction annuelle du nombre d’oiseaux depuis 40 années. Cette baisse est la plus importante parmi les espèces d’oiseaux des milieux agricoles avec 60 %, elle touche aussi les milieux forestiers. Sur les secteurs d’agriculture intensive, cette chute peut atteindre jusqu’à 79 % et ces scientifiques en attribuent la cause aux utilisations massives de pesticides et d’engrais chimiques. Cette étude démontre l’effet négatif et prépondérant de l’intensification des pratiques agricoles. Les populations d’oiseaux souffrent d’un cocktail de pressions, mais ces travaux concluent que l’effet néfaste dominant est l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides par hectare. Celle-ci a entraîné le déclin de nombreux oiseaux, surtout celui des insectivores.

Une étude de 2019 évalue que la toxicité de l’agriculture américaine à l’égard des abeilles a été multipliée par 48 entre 1992 et 2014. Insistant sur les insecticides néonicotinoïdes, cette étude publiée en août 2019 dans la revue  PloS One quantifie pour la première fois à l’échelle d’un grand pays agricole, les effets potentiels de l’adoption généralisée de ces produits.  La mondialisation des méthodes agricoles productivistes conduit aux mêmes conséquences sur l’ensemble de la planète.

De façon empirique, la profusion de vie que l’on pouvait constater dans les ruisseaux 40 ans auparavant n’est plus qu’un lointain souvenir, aujourd’hui ces mêmes ruisseaux sont vidés de leur foisonnement antérieur.

Un onglet de ce site est consacré à la présence des pesticides dans nos eaux brutes ; l’on constate que la recherche est partielle, qu’il existe de nombreux trous dans la raquette et que l’effet cocktail de cette soupe de molécules n’est pas évalué, elle ne peut l’être en raison du coût d’une recherche exhaustive des molécules et de la multiplicité des scénarios possibles selon les saisons. Si l’on prend ici le seul exemple de la recherche des molécules de dégradation de ces substances pesticides ou métabolites, seuls les métabolites des principaux herbicides sont recherchés, ceux des fongicides ne le sont pas, alors que le bassin traverse l’important vignoble du Cognaçais. En 2021, les 13 substances fongicides les plus employées en Charente-Maritime représentent un tonnage de 560 tonnes, soit 40 % de la totalité des substances soumises à redevance pour pollutions diffuses sur le département. À titre de comparaison, les 11 substances herbicides les plus utilisées totalisaient 581 tonnes.

Or nombre de métabolites sont aussi toxiques que la molécule d’origine. Un rapport de l’Anses de mars 2023 a révélé la présence massive et quasi-générale de métabolites du fongicide chlorothalonil, non autorisé depuis 2020 et jusqu’alors non recherché, mais dont les métabolites sont relargués lentement dans nos rivières

Les impacts sur la santé humaine sont de mieux en mieux identifiés. L’INSERM a livré en 2020 des résultats de son étude sur la cohorte Agrican constituée de 180 000 affiliés à la MSA. Ces études épidémiologiques permettent l’obtention de preuves solides, cohérentes avec d’autres études sur le sujet ; 6 cancers sont plus fréquents par rapport à la population française dans son ensemble dans des proportions de +20% à + 58%, surtout 3 cancers hématologiques et les tumeurs du système nerveux central. L’impact le plus important serait la maladie neurodégénérative de Parkinson avec une incidence de +50% à +100%. L’année suivante, un groupe de chercheurs de l’Inserm a publié une importante expertise collective confirmant la relation entre certaines maladies et une exposition aux pesticides, chez les adultes comme chez les enfants. Les chercheurs ont compilé des milliers de données étudiant des centaines de pesticides différents. Ils ont choisi de se concentrer sur trois substances ou types de substances : le chlordécone, les fongicides SDHI et le glyphosate.

Autre axe de recherches, le projet Géocap-agri a été lancé par les pouvoirs publics en réponse à la mobilisation de médecins et de parents d’enfants malades sur la commune de  Preignac, située en Gironde au milieu des vignes. L’usage de pesticides dans les vignes favorise l’apparition de leucémies aiguës chez les enfants. Telle est la conclusion des recherches menées par Santé publique France et l’Inserm, fin juin 2022. Si des données démontraient déjà un lien entre viticulture et leucémie à l’échelle communale, l’étude Géocap-agri apporte des précisions concernant l’importance de la proximité des cultures dans l’apparition des maladies : dans un rayon d’un kilomètre autour de leur maison, plus il y a de vignes, plus le risque de leucémie aigüe chez l’enfant augmente.  Dès lors, même une ZNT de 20 mètres est dérisoire au regard de la dangerosité de ces produits.

traitement des vignes
Traitement des vignes

Un rapport publié en 2022 par l’ONG « Pesticide Action Network Europe (PAN EU) » révèle qu’une cerise sur deux est contaminée, la moitié des pêches et des poires ; cette ONG se fonde sur l’analyse des données issues du programme européen de surveillance des résidus de pesticides prélevées par les équivalents nationaux de la DGCCRF. L’étude se concentre sur les pesticides « les plus dangereux ». Il s’agit de substances suspectées CMR, PE, ou réunissant deux des trois critères de substances persistantes, bioaccumulables, toxiques. Au total, 28 pesticides parmi les 55 les plus dangereux ont été décelés. Ils ont des effets sans seuil, même à très faible dose. 50% des échantillons faisaient apparaître les pesticides les plus dangereux en 2019. Les fruits les plus contaminés sont les mûres, les pêches, les fraises, les cerises et les abricots. Les pêches françaises sont celles qui contiennent le plus fréquemment des traces de pesticides dangereux et les pays européens qui produisent les fruits les plus contaminés sont la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et la France.

En juin 2023, deux scientifiques suédois ont démontré que des géants de l’agrochimie ont soustrait aux autorités européennes des résultats défavorables de tests de toxicité afin d’obtenir des autorisations de mise sur le marché. Les résultats dissimulés concernent les impacts sur le neurodéveloppement des enfants (autisme, déficit de l’attention et hyperactivité, handicaps intellectuels, etc.), pathologie en forte augmentation.

En septembre 2011, le Commissariat Général au Développement Durable a publié une étude chiffrant le coût des principales pollutions agricoles de l’eau sur l’ensemble de la France. Cette évaluation partielle des coûts directs de la dégradation de la qualité des ressources et milieux aquatiques due aux excédents d’engrais azotés et de pesticides d’origine agricole mentionne les résultats ci-dessous :

« Les dépenses additionnelles évaluées des ménages générées par ces pollutions liées aux excédents d’azote et de pesticides d’origine agricole se situeraient au minimum dans une fourchette comprise entre 1 005 et 1 525 millions d’euros. » « Le coût complet du traitement annuel de ces excédents d’agriculture et d’élevage dissous dans l’eau serait supérieur à 54 milliards d’euros par an. »

Ces chiffres sont à mettre en perspective avec les 162 millions d’euros qu’a rapporté la redevance pour pollutions diffuses (RPD) pour les achats 2020 de substances pesticides, sur un marché français de vente de produits pesticides de l’ordre de 2 milliards d’euros par an.

 Dans le département de Charente-Maritime, 171 forages servant pour l’eau potable ont été abandonnés depuis 30 ans, principalement pour pollutions dues aux molécules pesticides. Pour éviter que cette dégradation des eaux ne s’aggrave, des programmes R-source sont mis en place tel celui de l’Arnoult pour les années 2022 à 2026 qui devra être financé à hauteur de 6,5 millions d’euros avec pour objectif une forte réduction des épandages d’agrotoxiques sur les aires d’alimentation de captage pour l’eau potable. On ne peut plus se satisfaire de subventions sans obligation de résultat.

En octobre 2022 une nouvelle charte riverain a été arrêtée par le préfet de Charente-Maritime, après un simulacre de concertation et quelques évolutions mineures par rapport à la version précédente rejetée par la justice administrative. Son objectif est de rendre acceptables par les citoyens, des pratiques réglementaires dangereuses pour leur santé. De nouveau, cette charte n’amène aucune distanciation additionnelle par rapport aux obligations réglementaires, il s’agit d’un texte en trompe-l’œil donnant l’illusion d’un effort de la profession agricole pour réduire ces risques, alors qu’il n’en est rien. Pour les produits CMR, une distance de 20 mètres de non traitement par rapport aux riverains (ZNT) est totalement insuffisante, dérisoire. La consultation des produits effectivement soumis à cette distanciation ne concerne qu’une vingtaine de substances actives, alors que les substances CMR, PE, SDHI, utilisées en Charente-Maritime sont beaucoup plus nombreuses. Dans cette liste, sont exclues les catégories des perturbateurs endocriniens et les CMR2 (CMR suspectés). Les perturbateurs endocriniens avérés et suspectés employés sont au nombre de 90 ; les substances CMR, regroupant CMR1 et CMR2 (susceptibles de provoquer le cancer), sont au nombre de 66 (sur un total de 238 substances soumises à la redevance pour pollutions diffuses utilisées dans le département). Les CMR2 sont suspectées d’être cancérogènes, ou pouvant induire des mutations héréditaires dans les cellules germinales, également suspectées d’être toxiques pour la reproduction humaine.

Epandage au plus près des riverains -
La zone de non traitement varie de 3 à 20 mètres en fonction de la dangerosité des produits pesticides
Epandage au plus près des riverains
La zone de non traitement varie de 3 à 20 mètres en fonction de la dangerosité des produits pesticides

Cette charte invite les agriculteurs à informer les riverains d’une opération de pulvérisation en cours, mais cela se limite à faire tourner un gyrophare sans obligation de mentionner la nature du produit, sa classification et sa toxicité ainsi que le délai de rentrée sur la parcelle. Selon les produits, les recommandations pour l’utilisation de ces produits interdisent une rentrée sur la parcelle durant un délai pouvant varier de 12h à 72h. Aucune de ces informations n’est délivrée aux riverains ou aux personnes traversant ces parcelles sur des chemins ou pistes cyclables, même avec des enfants.

Pour les substances CMR2, dans son délibéré du 22 décembre 2022, le Conseil d’État, saisi par un collectif d’associations, donne deux mois au gouvernement lui imposant une distance de sécurité de 10 mètres, compte tenu de la « gravité des conséquences » d’un défaut d’exécution « en termes de santé publique » et de « l’urgence particulière qui en découle ». Un arrêté de mars 2023 a imposé cette obligation de ZNT, malgré les protestations des syndicats agricoles majoritaires.

Avec de nouveaux outils d’analyse de l’air, l’association Générations Futures confirme le caractère dérisoire des zones de non traitement, estimant que la ZNT devrait être fixée à 150 mètres, et non entre 5 à 20 mètres comme c’est le cas actuellement. L’association a œuvré sur 3 régions avec des capteurs permettant la recherche de 500 substances, y compris parmi les moins volatiles. Ces capteurs ont été répartis au centre d’une parcelle non traitée, en bordure de cette parcelle mitoyenne avec des cultures traitées, et au centre du village le plus proche. Vers Libourne, en Gironde, territoire majoritairement viticole, certains capteurs parmi les plus éloignés (180 m de la parcelle traitée) ont piégé les plus grandes quantités de molécules (parmi 19 pesticides relevés), dont celui du centre de la parcelle non traitée, avec une abondance de folpel, fongicide considéré CMR2. Vers Hazebrouck, secteur de grandes cultures de blé et de lin, le capteur « central » installé à 40 mètres de la bordure de la parcelle traitée montrait la plus haute quantité de pesticides piégés (sur 35 substances détectées), bien au-dessus de la moyenne des capteurs en bordure, dont une grande part de glyphosate. Le capteur placé en ville pour évaluer le « bruit de fond » de cette diffusion dans l’air, a relevé une quantité équivalente à 59 % de la moyenne des capteurs en bordure. « La zone étudiée semble donc très impactée par une pollution globale de l’air par les pesticides », atteste l’association.

Egalement au regard des études de l’ATMO, l’ensemble de ces distances ne sont pas protectrices. La contamination de l’atmosphère par les pesticides s’effectue de trois manières différentes : par dérive au moment des applications, par volatilisation post-application à partir des sols et plantes traités, par érosion des vents à partir des poussières des sols traités. Une zone de non traitement de 20 mètres ne protège pas de ces deux dernières formes de volatilisation. Les masses d’air peuvent transporter ces substances à de très longues distances. La volatilisation post-application qui a lieu à partir des sols ou de la végétation traitée, peut se prolonger pendant des semaines. Pour certaines molécules, cette volatilisation peut être aussi importante que leur dérive lors des applications. Mais aucune norme ne fixe de limites à la présence de ces molécules dans l’air que nous respirons, à la différence des eaux de rivière et des eaux de consommation.

La campagne 2021 d’Atmo Nouvelle-Aquitaine, sur la commune de Montroy, a permis de détecter la présence de 62 pesticides (seulement 107 étaient recherchés) dans l’air des communes de la plaine d’Aunis, avec des niveaux de présence jamais constatés jusqu’alors. C’est dans l’est de l’agglomération de La Rochelle que l’herbicide prosulfocarbe bat tous les records nationaux avec des concentrations qui ont atteint 274,9 ng/m3 en novembre 2021. Précisons que le capteur se trouve à 150 mètres des cultures agricoles les plus proches. Bien que classé EnvA, le prosulfocarbe appartient à la famille chimique des thiocarbamates dont les effets sur la santé peuvent provoquer des difficultés cognitives et motrices chez l’enfant, la maladie de Parkinson, lymphome non hodgkinien, leucémie, cancer de la prostate, maladies respiratoires, thyroïdiennes (expertise collective Inserm 2021), ainsi qu’une forte toxicité pour les organismes aquatiques. Les molécules de prosulfocarbe sont en suspension avec 61 autres molécules pesticides, dont nombre de CMR ou perturbatrices endocriniennes, et des études attestent de la toxicité décuplée de ces cocktails de molécules. Dans ce secteur orienté vers les grandes cultures couvrant 95 % de la surface totale du territoire, un nombre alarmant de cancers pédiatriques a été recensé. La communauté d’agglomération avait engagé une action de médiation avec la profession agricole qui n’a produit aucun effet.

Epandage de pesticides

Des légumes cultivés par des habitants de ces communes d’Aunis, aux portes de La Rochelle, dans des jardins non traités aux pesticides, situés à plus de 200 mètres des champs agricoles, ont été analysés. 43 % des analyses révèlent la présence de pesticides, et 29 % des échantillons dépassent les limites maximales de résidus. Quatre molécules différentes ont été quantifiées : prosulfocarbe, aclonifen, chlortoluron et métaldéhyde. Le prosulfocarbe et le chlortoluron (…) dépassent respectivement les limites maximales de résidus de 4 et 1,5 fois. Ces légumes sont impropres à la consommation et des études plus poussées ont été demandées. Le 29 décembre 2020, les analyses de l’ARS concernant les eaux potables puisées au captage des Mortiers, sur ce même secteur, révélaient des présences de pesticides dépassant les normes autorisées, fixées à 0,1 µg/l par substance. Ce captage alimente environ 6000 habitants. Les molécules quantifiées les plus dangereuses étaient le chlortoluron (1 µg/l), herbicide CMR (cancérigène mutagène reprotoxique) , dépassant de 10 fois la dose limite de qualité, et l’hydroxyterbuthylazine (0,011 µg/l), métabolite du terbuthylazine (herbicide).

Concomitamment à ces retraits de substances et à cette lente et progressive remise en cause de ces agrotoxiques chimiques, les multinationales concernées peaufinent de nouvelles générations de pesticides, basées sur des brins d’ARN, dont nul ne connait jusqu’alors le potentiel de nuisance. Des scientifiques émettent de fortes craintes que ces nouveaux produits accélèrent encore l’effondrement du nombre d’insectes, en particulier des pollinisateurs. « Trop de nouvelles substances sont produites et relarguées dans la nature, sans que les scientifiques aient le temps d’analyser correctement leurs effets », déplore Benoît Geslin, chercheur et spécialiste des relations plantes-insectes à l’Université Aix-Marseille. « On commence à peine à parler des technologies dites de “silençage génétique” que l’on apprend déjà que certains produits sont prêts à être mis sur le marché ! » Deux applications sont possibles : par des OGM, ou par l’application externe du produit à base d’ARN par pulvérisation, trempage des racines ou injection dans le tronc des arbres à protéger. Comment s’assurer que cette séquence ne se retrouve pas dans le génome d’insectes proches, fruits d’une évolution commune ? Selon une étude publiée en 2021 dans la revue RNA Biology, nul besoin de détenir une séquence identique à 100 % pour être touché par un pesticide à ARN. Or, arthropodes, coléoptères et autres auxiliaires des cultures disposent de génomes relativement similaires.

Dans le même temps les multinationales du pesticide font émerger de nouveaux produits, tels les pesticides sous forme nanométrique, en plus des nouveaux pesticides génétiques ARNi sus-évoqués. Plus de 1000 demandes de brevet ont été déposés aux Etats-Unis, et les données sont insuffisantes pour une évaluation correcte des risques associées à ces nouveaux produits. (Pesticides : l’émergence de nouvelles technologies nanométriques se fait dans le brouillard, Actu-environnement, 7 mars 2024)

Plus petits que les microplastiques, les nanoproduits peuvent traverser les parois cellulaires et finir, une fois l’organisme cible ingéré, dans l’appareil digestif d’un autre (comme un insecte nuisible mangé par un oiseau, ou un légume par un être humain). Des effets variables sont rapportés, essentiellement liés à l’internalisation et à la bioaccumulation possiblement accrue des nanopesticides par rapport à leurs analogues conventionnels chez les invertébrés du sol, mais également chez les organismes aquatiques, selon Christian Mougin, directeur de recherche du laboratoire Ecosys.

Malgré une prise de conscience collective et des avancées politiques, les revendications agricoles de février 2024 ont provoqué une panique gouvernementale qui se traduit par un fort recul des engagements environnementaux antérieurs. Indépendamment de ce reniement politicien, se poursuit la fin progressive de substances chimiques de synthèse provoquée par la simple mise en œuvre de nouvelles études lors du renouvellement des autorisations. Mais la financiarisation d’une l’agro-industrie toujours en quête de relais de croissance et de profits, sans le moindre égard pour notre biodiversité et notre santé, s’exprime au travers de ces nouveaux produits utilisant des technologies génétiques et nanométriques qui pourraient se révéler tout autant mortifères pour une biodiversité dont dépend notre survie, déjà détruite à 80 % et plus pour certaines espèces.